Douleurs
Statue figée dans le temps
« On dit que les jeunes de 12 à 17 ans, les « adolescents » sont souvent déstabilisés et ont besoin d’un soutien moral tel que la famille ou l’école. »
C’est quoi l’adolescence ? C’est avoir des amis et passer du bon temps avec eux ? Ou ne dépendre et vivre que pour ses parents ? Je me suis toujours posée un tas de questions qui ont uniquement des réponses déjà fixées. L’adolescence : C’est la tranche d’âge entre 12 et 17 ans. ». Je l’ai trop souvent entendue, cette phrase. Je vais raconter ce que je vis, et vous verrez, « adolescence » est un mot qui n’est pas dans mon lexique.
Depuis toujours, j’ai vécu à Maisons-Alfort en France. Mes parents sont tous les deux immigrés et ont très bien réussi dans ce pays. Du coup depuis toute petite, ils ont porté beaucoup d’espoir sur ma sœur aînée et moi. Comme la plupart des enfants, je suis allée à l’école cinq jours sur sept et j’ai été obligée de me séparer de mes parents pour côtoyer d’autres enfants de mon âge.
Tout cela paraît « normal » puisque des millions d’enfants ont suivi cette route, mais si je rajoute certains détails, tout le récit deviendra différent. En grande section de maternelle, ma mère m’apprend à lire, à écrire et à compter en me disant que cela faciliterait mes prochaines années pour que je ne « patauge » pas comme ma sœur. Elle me mit ensuite en tête, les années qui suivirent, qu’il fallait que j’obtienne mon Brevet avec la mention Très Bien, que j’aille en Première Scientifique, puis que je prenne la spécialité Mathématiques –ma mère a toujours rêvé d’être professeur de mathématiques, elle pouvait mais ne l’a pas fait- et pour mettre la cerise sur le gâteau, mes deux parents (oui, les deux pour une fois) rêvent que je devienne médecin ou que j’intègre une grande école (le rêve de tous les parents en gros). Ils m’ont donc fait étudier durant de longues heures chaque jour et m’ont poussée à atteindre la perfection. Les enseignants m’adoraient, mes parents, eux par contre ne m’ont jamais félicitée à chaque fois que je ramenais un A, un soleil ou un 10. Je n’ai presque jamais connu de câlin lorsque je ratais un devoir, ni même le goût du bonbon lorsque je réussissais quelque chose de difficile. Comme si je ne méritais rien.
En parallèle, plus les années passaient, moins mes amis, mes camarades de classe étaient agréables à mon égard. Le mot « intello » me tombait dessus, les soupirs d’exaspération soufflaient dans mon dos à chaque fois que je trouvais la bonne réponse ou que j’avais la meilleure note. Tout a réellement commencé en CM1. J’avais neuf ans et bientôt dix, au moment où la belle saison était déjà présente. J’avais encore les meilleures notes à chaque devoir, quelle que soit la matière (le sport est une exception). Alors que j’avais l’habitude de fréquenter quelqu’un, Félix (appelons- le ainsi), Bobby, la fille la plus influente de la classe, avec qui je m’entendais bien m’a empêché d’aller le voir. D’autres enfants l’avaient rejoint et un écho de « Ouais dégage ! » gronda à mes oreilles. Voir tout le monde se retourner contre moi m’a fait un choc. J’ai connu l’isolement, la sensation de n’avoir pas le droit de jouer à la balle américaine voire simplement d’observer un match. Mes parents ne savaient pas qu’on m’écartait à cause de ce qu’ils m’inculquaient ou même du sang qu’ils m’avaient transmis.
Une fois entrée au collège, je pensais que tout le monde avait mûri… Mais c’est faux. Tous les gens de mon entourage étaient comme les adolescents moqueurs et méprisants des films américains. Je n’arrivais pas à me faire de nouveaux amis pour remplacer tous ceux qui m’avaient déçue. J’étais « trop intello » pour eux et je ne connaissais rien sur les goûts actuels, comme en musique. J’ai vécu dans cette prison en n’ayant écouté que de la musique classique, à cause de mes parents. Quasiment tous les jeunes de mon âge écoutent de la musique américaine et en vantent les mérites. « De la vraie musique », disent-ils ! Par agacement de tout ce que j’entends, j’ai choisi de me rabattre sur la culture rivale, la culture nippone. Après, je me suis encore plus retrouvée dans la solitude. J’étais allée jusqu’à acheter des amis pour ne pas paraître trop seule : j’achetais à manger pour ces personnes, je portais leur sacs, je payais tout leur loisirs en croyant qu’ils étaient vraiment « pauvres »… Tout avec mes économies depuis la primaire… 180€ au total… Le prix à payer pour avoir des amis superficiels pour deux mois. Mes parents voulaient que je sois comme tout le monde, mais ce « tout le monde », il est beaucoup trop terrifiant.
A vrai dire, j’ai voulu essayer d’être comme les autres jeunes de mon âge, de profiter de la vie. J’ai donné alors comme argument à mes parents : « Je suis ado. ». J’avais onze ans. Ils éclatèrent de rire et me dirent que j’étais trop jeune. A douze ans, ce fut le même cirque, tout comme à treize, puis quatorze ans. Comme objection, ils me dirent : « Arrête de penser ainsi ! Le collège est décisif pour ton orientation, tu n’as plus le temps de t’amuser ! Il fallait le faire en primaire ! ». Justement, en primaire, j’ai passé ma vie à étudier contre mon gré. Alors… Quand m’amuser ? A chaque fois qu’un ami voulait m’inviter quelque part, même si j’avais fini tout mon travail, ma mère trouvait une excuse bidon pour m’en empêcher. J’essayais de dire que c’est faux, mais à chaque fois on me réduisait au silence par la violence comme depuis toujours. J’aurais très bien pu demander de l’aide ou m’enfuir, mais je risquais pire. A chaque fois, on m’amadouait pour que je reste docile en m’offrant quelques cadeaux. Tous mes mérites tels que tous les concours de violon que j’ai remporté haut la main, tous les concours de dessins auxquels on m’avait défendue de participer mais que j’ai gagnés, tous les prix d’études que j’ai reçu tels que l’AMOPA ou en me classant 2nde de tout le collège au Big Challenge en étudiant seule, on ne m’a jamais félicitée ou récompensée. Tout ce que j’ai fait pour entendre un simple « Oh bah de toute façon, c’est grâce à moi. » de ma mère et l’entendre vanter mes mérites auprès des autres mères, c’est comme être une bête de foire maltraitée, durement entraînée pour être présentée au grand public, et dont on félicite le maître. A chaque fois que je ratais quelque chose, on me punissait et on me traitait d’imbécile parce que selon mes parents, c’est seulement grâce à eux si je ne suis pas stupide par rapport aux autres.
Comme je suis toujours sous l’emprise de mes parents, les autres élèves me voient comme une « fille à maman ». J’ai souvent été victime de ces discriminations en plus de celles dues à mes origines. Dans de nombreux livres, on dit que les jeunes de 12 à 17 ans, les « adolescents » sont souvent déstabilisés et ont besoin d’un soutien moral tel que la famille ou l’école. Je n’ai ni l’un ni l’autre. Tout ta comme ma grande sœur, je vais devoir serre les dents pour pouvoir passer cette tranche d’âge. Elle a déjà essayé de se rebeller, mais elle a été privée de liberté d’expression et de vie privée par nos parents, tout comme moi d’ailleurs, qui ne peut plus rien cacher aux parents puisqu’ils fouillent tout le temps mes affaires et m’obligent à tout raconter (ils vont jusqu’à lire dans mon journal intime et fouiller ma table de chevet!). Je suis d’ailleurs privée de presque tout. Le lycée, souvent considéré comme les meilleures années, ne seront rien pour moi puisque « je devais m’amuser au collège ». N’avoir rien pu choisir dès mon plus jeune âge me jouera sûrement des tours plus tard, pour ne pas avoir vécu dans le même temps que les autres jeunes de ma génération, ainsi que de n’être qu’une statue figée dans le temps.
Le 17 avril 2014