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Douleurs

 

Le 7 juillet

« Une visite peu agréable a lieu : deux lieutenants de la police criminelle, […] et il faut parler, tout retracer de ce que j’ai vécu deux jours plus tôt, comme je le refais aujourd’hui. Â»

Ca y est… Tout est fini. Sur mon lit d’hôpital, le crane recousu, je me dis que l’enfer est terminé, que je suis enfin en sécurité. Je pleure, des milliers de questions fusent dans ma tête. La petite fille qui partage ma chambre me demande pourquoi je suis là. Je réponds simplement « ce n’est rien, je me suis ouvert la tête Â». La fillette se fait opérer le lendemain, je ne la reverrai plus. Mon père arrive, tellement soulagé de me revoir qu’il ne retient plus ses larmes. C’est la seule fois où je l’ai vu pleurer. La nuit est longue, pleine d’insomnies et de cauchemars.

Le lendemain matin, on me change de chambre, je ne sais pas pourquoi â€¦ J’étais bien là, avec d’autres personnes. Ma nouvelle chambre ne possède qu’un lit et je suis à nouveau toute seule avec moi-même. Je me rends à des tonnes de rendez-vous, des radiographies, des psychologues, à qui je refuse de parler, un médecin légiste qui mesure mon moindre bleu ou écorchure. Je veux juste rentrer chez moi. On remplit des dossiers, je rentre dans ma chambre. Toujours la même monotonie de l’hôpital. On t’apporte un repas, tu ne manges rien. On te demande si tout va bien, tu réponds oui. On te laisse enfin et tu t’endors, exténuée.

Une visite peu agréable a lieu : deux lieutenants de la police criminelle. Elles sont gentilles et essayent de me mettre à l’aise. Malheureusement, elles ont un travail à effectuer et il faut parler, tout retracer de ce que j’ai vécu deux jours plus tôt, comme je le refais aujourd’hui. Je réponds maladroitement à leurs questions. Elles inscrivent le moindre mot que je prononce. Lorsque j’ai fini, elles repartent telles qu’elles sont venues. Je suis restée ainsi une semaine et je suis enfin rentrée chez mon père.

Voici ce qui s’est passé, une semaine plus tôt, le 7 juillet. La journée débute normalement, comme toutes les autres journées de vacances. Mon père est parti de son côté, je suis chez ma mère. Depuis plusieurs jours, elle est fatiguée. Pourtant, nous sortons plusieurs fois dans la journée pour promener le chien ou juste prendre l’air. Au bout de la cinquième sortie de la matinée, je commence à me poser des questions, car cela ne nous arrive jamais autant. A midi, elle me demande de faire à manger. Je m’exécute et m’explique cela par la fatigue. Une fois servie, elle ne mange pas et part se coucher. Quand elle se lève enfin, je regarde la télé. Il doit être environ 17h30. Elle ne me regarde pas, enferme mon chien dans le jardin et ferme les volets puis repart dans sa chambre. Encore une chose que je ne comprends pas. Je " libère " mon animal. Le temps passe. Cinq minutes, dix, trente, une heure. Elle est toujours seule. Lorsqu’elle arrive enfin, elle est pâle, reste au pas de la porte. Dans ses mains, un marteau et un couteau de cuisine. Je ne comprends pas. Elle se dirige vers mon chien et c’est là que tout commence vraiment. « Il fallait le laisser dehors Â». Ces mots qui sortent de sa bouche sont froids, comme si son âme était partie de son corps. Elle lève le marteau, et frappe, en plein sur sa tête. Pour le protéger, je la retiens. Elle dit encore des propos incohérents et me demande de " choisir " entre les deux armes. Je reste sans réponse. Elle frappe, frappe et frappe à trois reprises. « Je suis désolée, c’est pour ton bien Â». Je saigne. Mon tee-shirt est rouge écarlate. Je me reprends une dernière fois et essaye de lui prendre ce qu’elle tient. Elle résiste mais j'y parviens. A ce moment, je ne pense plus qu'à m'éloigner d'elle. J'ouvre la porte et je cours dans les couloirs de mon immeuble. Je monte dans les étages, sonne à toutes les portes mais il n'y a personne. Quelqu'un ouvre enfin, j'entre. C'est une vieille dame que je connais à peine. Je lui explique rapidement ce que je viens de vivre. Elle appelle la police, les pompiers. Ils arrivent tous rapidement, me questionnent et nous partons dans une ambulance. La suite vous la connaissez.

Ma mère a tenté de mettre fin à ses jours pendant cette journée, je ne m'en suis même pas aperçue. Savoir cela, c'est le pire sentiment d'abandon, plus rien ne sera pareil. Après les faits, elle s'est enfuie. La police a mis deux jours avant de la retrouver et de la faire interner en hôpital psychiatrique. Le verdict tombe. Elle est schizophrène et non responsable de ses actes. Heureusement car je n'aurais pas supporté de la savoir en prison. Malgré tout cela, je ne lui en veux pas. La vie est parfois cruelle et touche parfois les plus sensibles mais elle continue. Nous avons remis les compteurs à zéro et tout se reconstruit petit-à-petit, même si la peur est là, toujours ancrée au fond de moi...

Avril 2014