Passions
La campagne dans tous ses états
« Je ne me suis jamais sentie « chez moi » en ville, d'abord parce que les immeubles et la pollution m'étouffent, et parce que j'ai le sentiment d'être incomprise par les urbains dans le grand intérêt que je porte pour les bêtes de somme. »
Lorsque j'étais en quatrième, j'ai demandé à mes parents d'effectuer un stage dans une clinique vétérinaire en milieu rural. Depuis l'âge de cinq ans, je rêve de soigner les bovins et les ovins.
Je ne me suis jamais sentie « chez moi » en ville, d'abord parce que les immeubles et la pollution m'étouffent, et parce que j'ai le sentiment d'être incomprise par les urbains dans le grand intérêt que je porte aux bêtes de somme. C'est ainsi qu'au mois d'octobre, j'ai été accueillie dans une clinique vétérinaire en Périgord pour la durée d'une semaine.
Au cours de cette semaine de stage, j'ai eu l'occasion d'assister pour la première fois à divers consultations : je me souviens qu'un matin, un chien est arrivé en urgence au bloc opératoire. L’œil droit exorbité, pendant sur sa joue, le chien avait déjà été anesthésié par le vétérinaire. Durant l’intervention, j'étais chargée de régler la quantité de gaz anesthésiant qui maintenait l'animal endormi, puis, faute d'assistante vétérinaire, j'ai dû prendre une pince, saisir l’œil mort et tirer dessus pendant que le chirurgien le découpait avec son bistouri électrique. Le chien s'était en fait blessé en se heurtant contre le coin d'une table alors qu'il se battait avec un rival. Pour rester dans l'idée de la violence entre les animaux, je me rappelle qu'un chat (lui aussi s'étant battu), avait une plaie sur le sommet du crâne. La blessure était si infectée que le pus avait rempli la tête du chat et lui faisait une tête aussi grosse qu'un gros caillou ! Le vétérinaire a percé l'abcès et a vidé la tête du blessé en appuyant dessus.
Une nouvelle chirurgie a notamment retenu mon attention : une jeune Border Colley avait été renversée par une voiture. Je n'avais encore jamais vu de telles blessures : les muscles d'une patte antérieure avaient été littéralement écorchés laissant saillir les tendons et les os, les babine et la langue de la chienne étaient parsemées de petites entailles.
Ces deux événements m'ont ouvert les yeux sur la violence entre les animaux errants, abandonnés, mais aussi sur les dangers du quotidien qui les menacent à chaque instant.
A plusieurs reprises, le vétérinaire m'a emmenée en visite à la ferme. Nous avons retiré des dents à un taureau ayant reçu un coup de pied dans la mâchoire de la part d'une vache (en période de monte), j'ai gardé une canine de l'animal en souvenir. Je me rappelle qu'un âne s'était fait accidentellement coupé la chaire du pied par son propriétaire qui avait voulu lui parer lui-même les sabots. J'ai eu l'occasion de noter le numéro d'identification des vaches sur les flacons de prises de sang, j'ai aidé à capturer un veau et j'ai même vu un bélier dont une plaie profonde était infestée de vers ! Nous sommes allés voir une vache dont le veau était mort, coincé dans la vache. Une fois mort, les fermiers avaient pu le faire sortir car la mère s'était calmée. Cependant, le lendemain, la vache fut victime d'une distension des muscles des hanches suite à la mise bas. La bête faisait le grand-écart des postérieurs, ne mangeait plus, était agressive et ne parvenait plus à se relever. La sachant condamnée, le vétérinaire a préféré l’euthanasier afin d'abréger ses souffrances. Dans cette même visite, le vétérinaire a coupé un morceau de corne, trop long et qui commençait à s'enfoncer dans la ganache d'une vache. Il a pu retirer le bout de corne à l'aide d'un fil-scie qu'il frottait sur la corne. Ce soin m'a rappelé un reportage sur les vétérinaires ruraux : toujours avec ce même fil-scie, un praticien était parvenu à amputer une vache d'une phalange (qui correspondait au sabot entier). J'ai appris que les vaches blessée ressentent très peu la douleur, c'est pour cela nous pouvons pratiquer certains actes de chirurgie sans anesthésie.
Durant ce stage, certaines consultations m'ont tout particulièrement attristée. J'ai dû maintenir des chiots de trois semaine pendant que la vétérinaire leur coupait la queue (sans anesthésie car ces animaux trop petits ne pourraient pas la supporter) pour une raison esthétique (cette pratique est désormais interdite en Alsace). J'ai notamment assisté à de nombreuses euthanasies de chiens et de chats, les propriétaires n'ayant pour la plupart pas les moyens nécessaires pour financer les soins médicaux de leur animal de compagnie.
D'une manière générale, le nombre d'euthanasies à la campagne dépasse de loin celui du milieu urbain. Souvent, les paysans se rendent compte trop tard du mal qui touche leur bétail et pour une raison de rentabilité, ils ne peuvent se permettre de leur sauver la vie. J'ai remarqué que l'aspect financier joue un rôle majeur dans la santé animale : les ruraux ont souvent un salaire plus bas que les urbains et les techniques médicales vétérinaires ne sont pas suffisantes pour pouvoir guérir tous les animaux.
A la campagne, il n'est pas rare de rencontrer des animaux perdus (souvent à la période des amours) ou morts sur la route. Certaines personnes considèrent leur animal comme outil de travail (pour la chasse par exemple) ou même comme un poids embarrassant, les animaux ne reçoivent pas l'attention nécessaire et tombent malades ou se font blesser plus facilement qu'en ville. Heureusement que les événements que j'ai expliqué ne sont pas des cas auxquels nous nous trouvons confrontés tous les jours, mais ce stage m'a permis d'ouvrir les yeux sur la réalité du métier de vétérinaire rural et m'a confortée dans mes ambitions.